« IV. - La politique roumaine et les minorités.
En terminant, je voudrais vous dire quelle est, à mon avis, la politique la plus sage à légard des minorités.
Minorités et régime scolaire.
Je pense (et mon opinion n'est pas isolée) que chacun a le droit de faire élever ses enfants comme il lui plait. Obliger des parents à envoyer leurs enfants à une école déterminée est, à mon avis, un abus. La T ransylvanie possède, pour les minorités, des écoles confessionnelles, payées par rEtat roumain. Celui ... ci exige qu'un certain nombre d'heures soit consacré à l'enseignement du roumain. Pour ma part, je crois qu'il ne faut rien exiger. Les résultats n'en seraient que meilleurs. Pour qui vit en Roumanie, la connaissance du roumain est nécessaire.
Je suis hostile également à l'idée d'introduire l'histoire nationale de la Roumanie dans l'enseignement secondaire des écoles minoritaires. L'his ... toire nationale peut exciter le plus vif intérêt ; mais il faut que chacun puisse y puiser ce qu'il désire, ce qui correspond aux besoins de son âme et à son orientation.
Il ne faut jamais opprimer une âme. C'est le pire des crimes. La tentative est vouée à l'échec. Le passé magyar en est la preuve. On est arrivé à changer des noms, à faire apprendre une forme [plus grammaticale du magyar. Quel a donc été le résultat ? M. 'Maniu, dont je vous ai parlé, a été l'élève des écoles magyares ; il parle magyar d'une façon aussi élégante que n'im .. porte lequel de ses anciens camarades au Parlement de Budapest. et, cependant, malgré sa connaissance artificiellement combinée de la langue et de l'histoire du royaume de Hongrie, il a été un adversaire convaincu de l'ancien régime.
Bien souvent. le corps enseignant d'une école minoritaire m'a demandé le droit de conférer des diplômes reconnus officiellement. j'estime qu'un certificat d'études secondaires ou de baccalauréat a autant de valeur dans une école confessionnelle que dans une école d'Etat. L'Etat choisit ses fonctionnaires. Il s'intéresse forcément à la culture de ceux qu'il doit payer. Je ne vois pas pourquoi l'on peut dire à certaines écoles confession .. nelles : « Nous ne reconnaissons pas vos certificats », Je trouve que toute école doit être absolument libre ; elle ne doit même pas être soumise à la formalité,. plutôt désagréable, d'une visite d'inspecteurs roumains. Pendant mon passage au ministère, je n'ai pas employé d'inspecteurs. Leurs visites dans les écoles sont généralement trop rapides pour permettre aux autorités d'être vraiment renseignées ; ils ont souvent, lorsqu'ils arrivent, de tels préjugés que le résultat de leur inspection est franchement mauvais. J'ai donc renvoyé la plupart de ces inspecteurs à leur chaire, qu'ils négligeaient, et je me suis servi du personnel ordinaire du ministère.
J'admets de même qu'un homme qui a un procès puisse se présenter devant le tribunal et exposer son cas dans la langue qu'il connaît. Il me paraît même nécessaire qu'on lui assure un interprète.
Le minorité saxonne n'a que 300 000 âmes, mais elle fait beaucoup de bruit, beaucoup plus que la minorité hongroise, qui est presque dix fois plus nombreuse. Ses membres ont demandé que les actes des conseils communaux soient rédigés dans leur langue. Je ne vois pas en quoi cette demande pourrait porter atteinte aux intérêts de l'Etat. Il est nécessaire sans doute de les rédiger en même temps en roumain ; et il est peut-être excessif de demander au gouvernement qu'il traduise lui-même ces actes ; mais, ceux qui en ont le temps peuvent les rédiger en double.
Minorités et territoire national.
Il est une réclamation des minorités, à laquelle il est impossible de souscrire. Des minorités ont demandé la délimitation de territoires nationaux. Or, ces territoires nationaux eux-mêmes n'existent pas ; ces populations sont entremêlées de telle façon qu'il faudrait faire autant de couloirs qu'il ya de groupes de villages. On a demandé, par exemple, la délimitation, à travers la Transylvanie, d 'un couloir qui mènerait à la région peuplée de Szeklers. La chose est pourtant impossible.
Telles sont les revendications des minorités. Je vous ai dit ce qu'il est possible, à mon avis, de leur accorder. L'opinion, que je m'honore de représenter, est celle de cette minorité libérale qui finira par remporter la victoire, lorsque l'absurdité de l'autre méthode aura été éprouvée.
Rôle des minorités.
Je voudrais dire, en terminant, que les minorités ont, à mon avis, un grand rôle à jouer ; elles devraient seulement songer à le remplir. Elles peuvent être très utiles, surtout à une époque de tension internationale. Leur existence peut être un bienfait véritable pour les nations qui savent en profiter.
Avoir des Hongrois en Roumanie est un grand avantage pour le pays, car il est bon que des Hongrois puissent voir et juger exactement ce qui se passe en Roumanie ? Je crois, à l'encontre de certaines personnalités de Budapest, qu'il est bon que les Hongrois puissent se rendre compte de la véritable situation de leurs nationaux en Transylvanie. Il m'est arrivé plusieurs fois d'avoir affaire à des Hongrois qui reconnaissaient que les mouvements de l 'opinion publique de Budapest sont souvent déterminés par des faits imaginaires. Ils l'auraient, l'ont-ils dit, aussi bien déclaré publiquement.
Puis, chaque peuple a ses qualités et ses défauts. Il est impossible d'empêcher ces qualités et ces défauts d'être transmis au voisin. Ordinairement, les nations, sauf pour des cas très rares, ont plus de qualités que de défauts. Les voisins peuvent se défendre contre les défauts et chercher à acquérir les qualités. Le Hongrois, par exemple, est énergique. dévoué ; il a l'esprit chevaleresque. Il peut être sur ce point le maître des Roumains - et je parle, non seulement en historien, mais en homme pratique et en professeur. Dans mon école, j'ai eu des élèves appartenant à presque toutes les minorités, et je me rends compte de l'influence que les Hongrois exercent sur leurs camarades.
Quant aux Saxons, leur rôle n'est pas moindre. Une agitation artificielle qui, je l'espère, ne sera qu'une fièvre passagère, se développe à l'heure actuelle. L'échec de ce mouvement montrera, je l'espère, leur erreur à ses promoteurs. Avoir des Allemands chez nous est tout aussi utile. Ils peuvent nous transmettre les bienfaits de cette magnifique civilisation, que seule la politique compromet aujourd'hui.
Il n'est pas de minorité dont la présence en Roumanie ne puisse servir à rétablissement de bonnes relations avec leurs congénères d'au delà des frontières, et ne puisse nous transmettre des éléments qui nous manquaient.
Tel est le régime des minorités en Roumanie. Telle est mon opinion au sujet de la politique à suivre à leur égard. En vous parlant comme je l'ai fait ce soir, je ne sais si j'ai plus froissé les préjugés des membres des minorités ou ceux des Roumains d'origine. Cependant, depuis longtemps, je suis habitué à ne pas tenir compte de ces réactions. J'aime manifester ouvertement une opinion dont je suis convaincu et qui, j'en suis sûr, n'ira jamais à l'encontre des vrais intérêts de la nation à laquelle j'appartiens.»
1936
NICOLAS IORGA.
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